Cet article est une traduction libre du post de Peter Ellis, statisticien australasien et expert en données scientifiques. Avec son autorisation et mes remerciements pour ce post très intéressant, que j’ai donc choisi de traduire pour qu’il soit accessible au plus grand nombre.
Le post original en anglais est ici. Merci à Peter pour sa gentille, immédiate, et francophone autorisation #SharingIsCaring.

TL;DR:
Surgisphere, une micro start-up qui prétend fournir des masses de données du monde réel pour les études scientifiques sur la santé, invente probablement ses données en masse.

Une étude revue par les pairs qui a probablement utilisé des données inventées de toute pièce

Si vous suivez de près la recherche contre le COVID-19, et même si ce n’est pas le cas, vous n’avez pas pu éviter l’effervescence de la couverture médiatique de l’étude observationnelle dans The Lancet « Hydroxychloroquine ou chloroquine avec ou sans macrolide pour le traitement de COVID-19 : une analyse de données internationale ». Cette étude a fait la une des journaux, notamment parce que le président Trump dit prendre de l’hydroxychloroquine en croyant que cela réduira ses chances d’attraper le COVID-19. Ce point de vue n’est pas étayé par des preuves jusqu’à ce que des essais randomisés soient effectués. L’étude du Lancet, qui a été menée avant de tels essais, a recherché des correspondance de tendances pour pallier au manque de randomisation. Elle a constaté que la prise d’hydroxychloroquine et de chloroquine était associée à un risque accru de problèmes cardiaques.

Je suis très sceptique quant aux pouvoirs de l’hydroxychloroquine sur le COVID-19 (« sceptique » dans le sens où j’ai suspendu mon jugement pour le moment – il n’y a tout simplement pas de preuves dans un sens ni dans l’autre). Je veux cependant que le test de ces propriétés soit fait correctement, avec des essais cliniques randomisés avec groupe témoin. Et si nous devons utiliser des études d’observation (ce à quoi je ne m’oppose pas, elles ne sont tout simplement pas aussi utiles qu’une expérience où l’on peut manipuler le traitement), elles doivent utiliser des données réelles.

Les données de cette étude, et d’au moins une prépublication sur un second traitement, ont été fournies par une entreprise de l’Illinois appelée Surgisphere. Les données prétendent représenter le traitement et les résultats de santé de 96 032 patients de 671 hôpitaux sur 6 continents. Hélas, il n’y a tout simplement aucune façon plausible de penser que ces données soient réelles.

Je le répète, je crois que les données qui se cachent derrière cette étude très médiatisée et très importante de Lancet sont entièrement inventées.

Si Surgisphere peut nommer les 671 hôpitaux participants ou prouver d’une autre manière que les données sont réelles, je me rétracterai, je supprimerai ce post ou écrirai tout billet d’excuses qu’ils pourraient me demander. Je pense cependant qu’il n’y a pratiquement aucune chance que cela se produise.

Surgisphere dispose-t-elle vraiment de données de patients de 671 hôpitaux ?

Je suis loin d’être le premier à demander plus d’informations sur cette nouvelle base de données fabuleuse dont personne n’avait entendu parler avant, et ils ont eu une semaine pour s’en expliquer. Voici ce qu’ils ont dit :

La base Surgisphere est un agrégat des dossiers médicaux électroniques anonymisés des clients de QuartzClinical, le programme de ‘machine learning’ et la plateforme d’analyse de données de Surgisphere. Surgisphere s’intègre directement aux DME de nos clients hôpitaux, pour leur fournir des informations sur les données exploitées afin d’améliorer leur efficience et efficacité. Dans le cadre de ces accords avec les clients de QuartzClinical, Surgisphere, en tant que collaborateur mondial en matière de données de santé, a l’autorisation d’inclure les données des DME de ces hôpitaux dans son registre/base de données interrogeable sur les consultations avec les patients en temps réel.

Bien que nos accords d’utilisation des données avec ces institutions nous empêchent de partager les données au niveau des patients ou les noms des clients, nous sommes en mesure de réaliser les analyses appropriées et de partager les résultats agrégés avec l’ensemble de la communauté scientifique.

(« DME » est le dossier médical électronique, c’est-à-dire les données personnelles des patients). Franchement, cela ne passe pas le test du rire.

J’imagine pourquoi les clients hospitaliers de Surgisphere ne voudraient pas être nommés, car s’il s’avérait qu’ils autorisent que leurs données soient envoyées en Illinois pour y être analysées à volonté – l’article du Lancet dit qu’il a été « jugé » qu’une approbation éthique n’était pas nécessaire – cela provoquerait sûrement un tollé. Ce serait un scandale bien plus grave que celui de Facebook donnant ses données à Cambridge Analytica. Après tout, ce que nous publions sur Facebook était considéré par beaucoup comme quasi-public. Imaginez que vos dossiers médicaux électroniques – données démographiques des patients, antécédents médicaux, médicaments, allergies, résultats d’analyse, radiologie – soient donnés à Cambridge Analytica.

En Australie, nous avons récemment eu une grande controverse publique sur le partage des dossiers de santé entre les prestataires de soins. Je ne peux pas imaginer la réaction si l’on découvrait qu’ils étaient partagés avec des chercheurs étrangers sans autorisation ou à leur insu. Et le fait que les hôpitaux ne soient pas nommés par Surgisphere signifie qu’aucun patient d’aucun hôpital dans le monde ne peut savoir si ses données sont utilisées ou non dans cette étude.

Attendez. Vous pourriez dire que ces données (qui, je pense, n’existent pas, mais prétendons qu’elles existent pour les besoins de la discussion) n’iront pas à une société suspecte comme Cambridge Analytica, mais à Surgisphere, « organisme de collaboration mondiale en matière de données de santé ».

Soit. Regardons Surgisphere. Surgisphere a cinq employés qui ont des comptes LinkedIn. Outre le patron et le co-auteur de l’article du Lancet, il s’agit d’un vice-président du développement commercial et de la stratégie, d’un vice-président des ventes et du marketing et de deux rédacteurs scientifiques (en fait, un rédacteur scientifique et un rédacteur de ‘scoence’, ce qui n’inspire pas confiance dans leur souci du détail lors de la rédaction…). LinkedIn enregistre également un employé de QuartzClinical – un directeur des ventes et du marketing.

Voici quelques profiles de personnes dont vous pourriez attendre qu’elles travaillent pour une véritable collaboration mondiale en matière de données de santé, qui a vendu des logiciels à 671 hôpitaux et les a intégrés à leurs systèmes de dossiers médicaux électroniques (DME), et qui coordonne une collaboration internationale continue en matière de recherche sur la santé :

  • responsable de la coordination au niveau mondial
  • équipe de liaison avec les hôpitaux/clients
  • personnel de support / help desk
  • formateurs et concepteurs de matériel de formation
  • chercheurs
  • équipe juridique, pour traiter les questions de confidentialité et de contrats dans les plus de 670 hôpitaux. Je suis sûr que rien que les questions liées au RGPD européen requerraient une équipe juridique importante.
  • développeurs de logiciels et de bases de données. Ne serait-ce qu’un petit développeur ou deux, spécialiste de l’extraction, transformation & chargement de données, chargé d’introduire ces milliards de lignes dans une base de données.
  • des administrateurs de bases de données et des ingénieurs ‘big data’
  • experts en solutions d’intégration du DME
  • responsable de la gouvernance des données
  • si l’un des éléments ci-dessus est sous-traité, une équipe de gestion des marchés chargée de gérer l’ensemble de la sous-traitance

Surgisphere ne compte aucun de ces profiles, à l’exception de Sapan Desai, qui est à la fois directeur général et chercheur en médecine (ce qui donne une bonne indication de la taille de l’entreprise – la plupart des patrons de ce genre d’entreprise ne sont pas également des chercheurs actifs). À en juger par son profil LinkedIn, son équipe se compose de trois directeurs commerciaux et de deux rédacteurs scientifiques.

Surgisphere et son personnel ne sont pas non plus présents sur GitHub. Pas plus qu’il n’y a d’explication sur l’impressionnante ingénierie qu’il faudrait mettre en place pour traiter toutes ces données. Ni d’articles de journaux, de rapport de conférence ou même de billets de blog décrivant leur réseau, les API qui les connectent, la fierté qu’ils éprouvent au sujet de leur cluster Hadoop sur AWS, le type de base de données qu’ils utilisent, etc. – toutes les choses que de vraies entreprises qui auraient produit des innovations impressionnantes (comme… la toute première base de données mondiale de données hospitalières au niveau individuel, si elle était réelle).

Pourtant, Surgisphere affirme avoir vendu des logiciels à 671 hôpitaux. Quel serait le coût du déploiement d’un logiciel d’analyse des données par ‘machine learning’ dans un hôpital et son intégration au DME ? Il ne s’agit pas d’une intégration légère et facile comme l’installation d’un logiciel de statistiques sur un PC et l’établissement d’une connexion ODBC avec une base de données. L’intégration aux systèmes de DME et la façon dont nous savons qu’ils utilisent les données signifie, au minimum, l’envoi de toutes les données dans le cloud. Cela signifie que vous devez gérer cela avec des architectes réseau et sécurité, disposer de tests extrêmement robustes, d’une sécurité à l’épreuve des balles (rappelez-vous, on parle des données les plus sensibles et étroitement surveillées au monde), passer par des montagnes de formalités administratives dans chaque hôpital pour convaincre les responsables de la gouvernance des données de ce que vous faites.

Je ne sais pas, mais un million de dollars par déploiement doit être une échelle proche de la réalité. Certainement pas moins de 300 000 $ par hôpital. Surgisphere devrait donc être une entreprise milliardaire si elle a fait cela 670 fois, mais ce n’est clairement pas le cas. En fait, Dun and Bradstreet estime ses revenus à 45 245 $. Vous ne pourriez même pas faire l’étape de découverte d’un projet d’intégration des DME dans un seul hôpital à ce prix là, sans parler de déployer quoi que ce soit.

Bien sûr, l’intégration des DME existe bel et bien, et elle se fait généralement pour déplacer des informations de patients en toute sécurité. Par exemple, une recherche rapide sur google a permis de trouver cette présentation sur comment intégrer des DSE (DME, et DSE, pour dossier de santé électronique, sont des termes interchangeables) [EHR & EMR en anglais, NDT] dans la région des Grands Lacs. Je remarque que Surgisphere est manifestement absent de la liste des présentateurs sur la diapositive 10. Il est donc assez surprenant (mais pas vraiment) qu’ils prétendent dans l’article du Lancet avoir des données sur la plupart des cas hospitaliers COVID-19 en Amérique du Nord diagnostiqués avant le 14 avril 2020 – 63 315 cas de ce type dans l’étude selon le tableau S1, ce qui aurait constitué une nette majorité de tous les cas hospitaliers.

Quant à QuartzClinical ?

Qu’en est-il de ce logiciel QuartzClinical qui aurait été vendu à 671 hôpitaux et qui renvoie les données à Chicago ? Il possède son propre site web. Il prétend utiliser « le machine learning et l’analyse statistique avancée » pour aider à la prise de décision. Fait remarquable, il « intègre avec succès votre dossier médical électronique, votre système financier, votre chaîne d’approvisionnement et vos programmes de qualité en une seule plate-forme ». Révisons mon estimation d’un million de dollars à 10 millions de dollars sur trois ans, au minimum, si cela signifie que vous remplacez ces choses par une seule plateforme. Mais cela signifie probablement simplement une base de données qui puise dans vos différentes sources de données et qui est doté d’une couche analytique et d’un moteur de recommandation. C’est une solution simple de veille économique, mais c’est quand même un gros projet pour un hôpital.

Je ne peux pas en dire plus parce que le site QuartzClinical est peu disert sur les détails. Il ne contient pas de témoignages de clients. Il ne parle pas de ce qu’il y a sous le capot. Il ne contient aucune information sur les versions, l’historique ou la feuille de route. Il prétend cependant avoir remporté quelques prix. Voyons voir :

  • « Grand Prix de la qualité, 39e Congrès mondial des hôpitaux 2015 de la Fédération internationale des hôpitaux ». Non, ce prix a été décerné au Texas Children’s Hospital pour « Advanced Population Health – the critical role of care delivery systems ».
  • « Deuxième prix du Grand Prix Dr Kwang Tae Kim, Fédération internationale des hôpitaux, 41e Congrès mondial des hôpitaux, 2017 ». Non, les deux mentions honorables étaient « Augmenter la fiabilité par la coordination des soins pour les patients qui ont besoin d’une chirurgie d’urgence » par le Northwest Community Hospital états-uniens, et « l’application de l’amélioration du système d’alerte clinique pour réduire la prévalence d’arrêt cardiaque inattendu à Taiwan » (Yuan’s General Hospital à Taiwan). Aucun de ces projets ne ressemble à quelque chose dont QuartzClinical aurait fait partie.
  • « Institute for Healthcare Improvement – Four of the Best from the IHI Scientific Symposium (2017) ». Je n’ai pas trouvé ce « prix », il est donc possible qu’ils aient vraiment été inscrits dans une liste de « quatre des meilleurs ». La seule mention de Quartz Clinical sur le site ihi.org est celle d’exposant au symposium de 2018. Il est possible qu’ils aient également été exposant un an plus tôt et qu’ils aient obtenu une sorte de reconnaissance.
  • Prix McKesson Quest for Quality de l’American Hospital Association en 2017. Ce prix a été décerné au Memorial Medical Center de Springfield, dans l’Illinois. D’après leur description, je ne vois rien qui semble lié à un logiciel comme QuartzClinical. Au lieu de cela, ils ont fait des choses comme changer le processus de traitement des fractures de la hanche, et ont placé des rampes dans les chambres d’hôpital. Cependant, selon son profil LinkedIn, le PDG de Surgisphere, Sapan Desai, a travaillé pour le Memorial Medical Center de mi 2014 à mi 2016 en tant que directeur de « Alliance qualité et analyse prédictive », il est donc plausible qu’il ait joué un rôle dans le programme qui leur a permis de gagner ce prix, même si QuartzClinical n’était pas impliqué.
  • Prix Frost et Sullivan pour l’innovation technologique dans les soins, en 2019. Oui, celui-ci semble avoir véritablement été gagné. Cependant, la page Wikipedia de Frost and Sullivan indique que ces prix sont « basés sur des recherches utilisant une méthodologie propriétaire, qui est parfois basée sur un seul article produit par le gagnant du prix », les décrivant comme un prix de vanité que le gagnant paye pour communiquer. Je ne peux pas juger celui-ci.

En plus de ces cinq prix revendiqués, il y a ce communiqué de presse disant que Sapan Desai « a reçu une mention honorable pour ses réalisations exceptionnelles en matière de qualité et de sécurité des patients, de responsabilité sociale des entreprises, d’innovations dans la prestation de services à un coût abordable, de leadership dans le domaine des soins de santé et de pratiques de gestion » lors de la cérémonie de remise du Grand Prix Dr Kwang Tae Kim de l’IHF à Taipei, Taiwan en 2018. Cela semble faux. Les prix Dr Kwang Tae Kim sont destinés aux hôpitaux et aux organisations de santé, et non à des particuliers. Les cinq mentions de Sapan Desai sur le site web de l’IHF concernent des conférences qu’il a données, il n’est pas question qu’il ait reçu un prix. Le fait que son propre communiqué de presse annonçant sa « mention honorable » ne renvoie à aucune source faisant autorité est, en soi, suspect.

Ainsi, nous avons une affirmation correcte (Frost et Sullivan), une exagérée (le prix du Memorial Medical Center, qui n’était pas décerné à QuartzClinical mais, au moins, était un prix avec un lien avec Desai), trois apparemment fausses (concernant la Fédération internationale des hôpitaux) et une incertaine (l’Institut pour l’amélioration des soins de santé).

J’ai été particulièrement intrigué par le « Grand Prix de la qualité 2015 de l’IHF ». Cette affirmation semble si spécifique et facilement réfutable, et en plus d’être sur le site de QuartzClinical, elle est reprise par Sapan Desai à titre individuel, par exemple dans sa biographie pour cet événement en 2018 – « Il est le lauréat du grand prix international de la qualité des soins de santé par la Fédération internationale des hôpitaux en 2015 ». Peut-être travaillait-il au Texas Children’s Hospital ? (non, il n’y travaillait pas).

Puis je suis tombé sur cette pièce revendiquant un « prix de la meilleure qualité » lors de ce 39e congrès de l’IHF en 2015. Malgré le titre, le texte rapporte en fait que Desai a reçu le « premier prix de la meilleure présentation », pour son « Improving the Success of Strategic Management Using Big Data ». Il n’y a aucune trace de ce prix sur le site de l’IHF, bien qu’il y ait certainement fait cette présentation. Il est plausible qu’il ait reçu un prix pour la meilleure présentation. Je pense maintenant qu’à un moment donné, lors du polissage ultérieur du CV, cela a évolué en « Grand Prix de la qualité de santé ».

Ma meilleure hypothèse est que les autres revendications de prix apparemment fausses, si elles ont un quelconque fondement, sont des exagérations de prix de conférence ou de mentions honorables pour des exposés qui ont été exagérés en prix importants pour ses logiciels.

Sinon, comment pourrions-nous savoir que ces récompenses avant 2019 n’étaient pas pour QuartzClinical ? Eh bien, parce qu’elle n’a été lancé qu’en janvier 2019, comme le montre ce « blog d’évaluation » qui ne fait que répéter textuellement et de manière transparente les communiqués de presse.

Que nous reste-t-il donc de QuartzClinical ? Il nous reste une description d’un logiciel qui semble combiner le stockage de données provenant de plusieurs sources avec une couche analytique qui fournit ensuite des algorithmes d’aide à la décision. L’analyse est apparemment effectuée hors des locaux du client (nous savons que Surgisphere prétend conserver toutes les données pour une utilisation ultérieure). Les sources de données comprennent à la fois des données financières et des dossiers médicaux électroniques. Donc, pour leur déploiement, il faudrait au minimum de grosses bases de données et des pipelines relativement complexes. L’entreprise qui en est propriétaire n’a aucune capacité de gestion de projets informatique reconnue, de développement de logiciels, de déploiement ou de support. Il y a très peu de références à ce logiciel sur le web en dehors de son propre matériel promotionnel. Il a une entrée sur venddy.com, un site qui permet aux vendeurs et aux acheteurs de systèmes de santé de se passer mutuellement en revue, mais aucun commentaire d’utilisateur. Le matériel promotionnel apparaît sur le web à partir de début 2019, ce qui nous permet de savoir qu’il a donc environ un an. Le gérant a l’habitude d’exagérer son CV bien au-delà de l’amélioration cosmétique (par exemple, une mention honorable pour avoir donné un article évolue au fil du temps vers le Grand Prix de la qualité).

Quelle est la probabilité qu’un nouvel outil d’analyse des données basé sur le cloud, qui s’intègre aux systèmes de données les plus sensibles dont disposent les hôpitaux (finances et dossiers médicaux électroniques) et transfère ces données au-delà des frontières, passe de zéro à être déployé dans 671 hôpitaux sur six continents en 12 mois, sans pour autant faire l’objet d’évaluations par les utilisateurs et sans que les responsables informatiques enthousiastes qui participent à son déploiement ne discutent sur le web ? Cette probabilité a un nom : zéro ; ou « aussi proche de zéro que possible ».

et Surgical Outcomes ?

Ensuite, écrivons quelques mots sur Surgical Outcomes, le réseau international de collaboration des clients de QuartzClinical (hôpitaux et centres de soins) qui fournissent leurs données à Surgisphere en soi-disant toute confiance. Voici le site Web de Surgical Outcomes. Il s’agit d’une étrange combinaison de battage publicitaire sur le machine learning et d’amélioration des processus Six Sigma [Lien ajouté par traducteur]. Vous pouvez rejoindre le groupement pour 295 $ par an et accéder à des ressources éducatives en ligne pour la formation médicale et continue, et le maintien de la certification. Ou payer 2 495 $ pour accéder à d’autres services tels que la participation au « collectif de recherche ».

Il existe de nombreuses captures d’écran d’un outil de veille économique, probablement QuartzClinical (dont la promotion est très importante), permettant à l’utilisateur d’approfondir (par exemple) les procédures chirurgicales et de comprendre les facteurs de coût, accompagnées de vidéos loufoques sur la puissance des données et l’importance des mesures de performance.

Il existe un blog franchement bizarre avec une centaine d’articles, le plus ancien étant de septembre 2019. Ceux-ci combinent des instructions statistiques de base sur des sujets tels que la correspondance des scores de propension avec des conseils sur le contrôle qualité et la gestion de projets. Certaines des statistiques sont tout simplement erronées ; un exemple choisi au hasard étant cette capture d’écran qui nomme incorrectement les limites d’un intervalle de confiance « paramètres ».

Le plus ancien post de blog sur le site « Surgical Outcomes » date donc de septembre 2019 et s’intitule « How do I sign up« . Je pense que l’on peut dire sans risque de se tromper que c’est le début du « réseau de collaboration internationale » de Surgical Outcomes. Voici une capture d’écran de ce blog :

Cher lecteur, nous savons vous comme moi que ce n’est pas ainsi que les hôpitaux acceptent de partager les données personnelles des patients. En particulier, ce n’est pas la façon dont les hôpitaux d’autres pays décident de partager leurs données avec une entreprise américaine. Nous savons également qu’une « évaluation technologique rapide » n’est pas nécessaire avant de déployer une plateforme analytique. Pas une plateforme qui tire des données des systèmes financiers et de DME de l’hôpital, les stocke dans le cloud, effectue du machine learning sur ces données et renvoie des recommandations de décision intégrées aux processus propres de l’hôpital.

Sur l’article lui-même

Je n’ai pas encore mentionné les problèmes dans les données que l’on peut tirer directement de la lecture de l’article, si ce n’est en passant sur la proportion étonnamment élevée de cas hospitaliers nord-américains qui font partie de l’échantillon. Plusieurs des erreurs les plus évidentes concernent l’Australie et ont été rapportées dans les médias. Par exemple, Il y a beaucoup plus de cas en Australie qu’il n’y en avait au moment de l’étude, comme le rapporte The Guardian. Surgisphere a répondu qu’un hôpital ayant récemment rejoint la société (nous avons vu qu’il n’y en a pas d’autre type ! ) « s’est autodésigné comme appartenant à la désignation continentale Australasie … Cet hôpital aurait dû être plus adéquatement assigné à la désignation continentale Asie ». Hmm, donc la base de données secrète a une qualité de données épouvantable … mais bien sûr, des erreurs se produisent.

Mais comme le souligne Thomas Lumley, l’hôpital mal classé devait avoir 546 cas de COVID-19 hospitalisés au 14 avril et se décrire lui-même comme étant en Australasie. L’Indonésie avait alors suffisamment de cas hospitalisés, mais il semble peu probable qu’il y ait eu une concentration de cette taille dans un seul hôpital. Un hôpital indonésien se décrirait-il comme étant australasien (disclaimer: non, il ne le ferait pas). Et ces données pourraient-elles être partagées légalement avec une entreprise qui ne sait même pas quelles lois du pays elle doit respecter ? (non, cela ne serait pas possible).

Ensuite il y a le fait que le taux de tabagisme est trois fois plus élevé en Amérique du Nord qu’au Sud ; la petite fourchette de l’IMC moyen ; les données détaillées peu plausibles pour l’Afrique ; les données sur l’ethnicité qu’il est illégal de recueillir dans certains pays ; et ainsi ad nauseam.

Je ne veux pas en écrire plus, cela me bouleverse et me met en colère rien que d’y penser. De toute façon, tout est mieux dit dans les liens en bas de cette page.

Auparavant, j’étais plus ou moins d’accord, mais je pensais qu’il y avait de l’exagération quand les gens disaient « l’évaluation par les pairs est cassée », mais maintenant j’y crois vraiment. À l’avenir, ma devise sera vraiment « publiez les données et le code ou cela ne vaut rien » – non seulement comme « c’est une bonne pratique » mais comme « si vous ne le faites pas, je dois penser que vous pourriez tout inventer ». En ce qui concerne les données sensibles, nous devrons trouver des moyens de fournir des versions synthétisées, ou d’autres versions à divulgation contrôlée.

Voici une bonne citation d’Andrew Gelman

La bonne nouvelle de cet histoire est qu’il a fait taire les personnes qui critiquaient cette étude de Stanford sur les anticorps parce qu’elle n’avait pas été examinée par des pairs. Le problème avec l’étude de Stanford sur les anticorps n’est pas qu’elle n’a pas été revue par des pairs, mais qu’elle a été mal analysée statistiquement et que les auteurs n’ont fourni aucune donnée ou code.

J’espère que je me trompe sur toute cette affaire. Peut-être que les développeurs ETL de Desai, le personnel de support et les spécialistes de l’intégration des DME ne sont tout simplement pas sur LinkedIn alors que ses commerciaux le sont. Peut-être que les hôpitaux partagent vraiment nos données en toute connaissance de cause et avec plaisir avec une entreprise américaine, et que les données sont stockées dans des serveurs européens pour se conformer au RGPD et qu’il y a même une autorisation de patient donnée quelque part qui n’a pas été mentionnée. Peut-être que QuartzClinical est en fait le logiciel d’une autre entreprise et qu’il a donc été déployé dans 671 hôpitaux sans aucun examen ni discussion parce que sa marque est cachée.

Dans ce cas, je me sentirais mal d’écrire un message aussi long et agressif. Mais cela semble très peu probable. Il est terrible de penser que l’explication la plus probable de ce que nous voyons est simplement que les données sont inventées de toute pièce, dans ce qui est peut-être une conspiration criminelle, et que le processus de publication scientifique est tellement pêté qu’il passe à travers. Il me semble tout simplement très probable que cette explication soit la bonne.

Quelques autres critiques

Catégories : français

9 commentaires

Louis JULIA · 1 juin 2020 à 8 h 49 min

Excellent article! Maintenant, attendons de voir si l’OMS va faire machine arrière, et si Véran va annuler son décret du 26 mai!

Laurent · 1 juin 2020 à 18 h 28 min

Merci ! j’avais vu l’article en anglais, mais c’est plus pratique en français pour le partager.
Au passage, GDPR en français c’est RGPD (règlement général sur la protection des données)

    benjamin · 3 juin 2020 à 9 h 38 min

    Merci, en effet, dans l’élan j’ai oublié celui là 🙂 c’est corrigé !

EMSALLEM · 2 juin 2020 à 23 h 16 min

Recherche de la vérité, la plus vraie possible…

Jean EMSALLEM · 2 juin 2020 à 23 h 17 min

Bravo pour votre étude poussée

    benjamin · 3 juin 2020 à 9 h 38 min

    Je n’y suis pour rien, je n’ai fait que traduire l’article de Peter 🙂 mais oui, c’est poussé !!

Joseph · 3 juin 2020 à 15 h 53 min

Merci pour la traduction de cet article passionnant. J’apprécie que vous preniez le temps de mettre à disposition ces informations qui nous permettent d’exercer avec bonheur le muscle critique de notre autorité intérieure.

LENOBLE · 22 juin 2020 à 12 h 01 min

Excellent ! Petite remarque sur la traduction : « controlled » signifie « avec groupe témoin (contrôle) » et non pas « contrôlé ». Presque tous les auteurs de publication dont la langue maternelle est le français font ce contresens. On dit aussi plus souvent « randomisé » que « aléatoire », mais aléatoire me plaît davantage que l’anglicisme « randomisée. Qu’est-ce que c’est qu’une étude incontrôlée ?

    benjamin · 22 juin 2020 à 12 h 11 min

    Merci, je corrige cela ! 🙂

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