Andy est un des membres historiques du club des hackeurs allemands, le CCC, figure de proue dans l’information, la formation et l’activisme dans les domaines des technologies informatique et Internet. Défendant la protection des données personnelles des citoyens depuis 1995 avec le Datenreisebüro, il a fait en mai 2016 une conférence au THSF, le rendez-vous annuel de hackeurs à Toulouse.

Avec mon amie Marine, impressionnés par les idées lancées par Andy, nous avons décidé d’en faire un montage correct et de vous la proposer avec sous-titres en anglais et en français.

Nous vous en souhaitons une belle découverte !

Dans cette conférence, Andy évoque les ONG de défense des libertés à l’ère numérique, et fait le point sur leur financement par des fondations américaines, bien souvent faux-nez de la CIA…

Tout le monde y prend pour son grade, mais la discussion est surtout intéressante pour remettre en perspective les influences diverses des USA sur les pays à travers diverses ONG. Loin de vouloir jetter ces associations avec l’eau sale du bain de la CIA, il nous propose juste de réfléchir à ces sujets avec des arguments intelligents et intelligibles.
Et même si aucune réponse définitive n’est apporté par sa conférence, il nous propose des pistes intéressantes … à développer.

Andy Müller Maguhn, THSF 2016, en Français

Le complexe militaro industiel de défense des libertés sur Internet

Les choses dont je vais parler étant hélas plutôt sérieuses,

Je pense qu’il serait souhaitable de vous prévenir, avant de démarrer, que ma présentation
peut contenir des traces de réalité, et si vous n’êtes pas prêt à l’admettre, vous devriez peut-être partir

Okay okay… Si vous pensez pouvoir gérer ça, allons-y.

Donc, la liberté d’information est une des valeurs de base des hackers
Par conséquent, il est surprenant que nous nous retrouvions entourés de toute une industrie
d’activités financées par les militaires, le gouvernement, et le département d’état américain,
qui parlent tous des libertés sur Internet.

Enfin, les libertés sur Internet, ou leur version de celles-ci, et
Rappelons qu’il s’agit de quelque chose de très différent de ce dont on parle quand on parle
de liberté d’information. On parle plutôt de WikiLeaks que de Google.
Et lorsque l’on parle de communications illimités et non censurées, on parle bien entendu d’accéder à tout
et pas de propriété intellectuelle.

Donc, on parle de transparence des affaires, des technologies,
que nous voulons une technologie transparente, des gouvernements transparents, et des structures transparentes
et on associe tout cela avec la liberté d’information

Donc l’éthique des hackers comprend aussi quelques idées sur les structures
par exemple que les autorités sont rarement favorables à la libre circulation des informations
ni que les autorités ou les hiérarchies sont vraiment utiles.
Et aussi que la décentralisation est une bonne chose.
des lieux centraux, et des lieux de contrôle centraux, entraînent des abus de contrôle centralisés

Donc, si on s’inquiète de la corruption des gouvernements, et de la corruption dans toutes sortes d’entités
ces lieux centraux sont une invitation à la corruption, ils sont là pour être abusés.
On a aussi l’auto-détermination informationnelle, qui précise que celui qui
entre des données dans un système devrait être celui qui décide de ce qu’il en advient
Connu ici sous le nom d’intimité, qui est la base pour des gens comme nous.

Cependant, nous ne sommes pas que des hackers, mais aussi des êtres humains
et il y a d’autres valeurs qui nous tiennent à cœur. Comme les Droits de l’Homme,
et de ne pas soutenir toute activité, action ou structure qui agit en violation des Droits de l’Homme.
Comme l’invasion militaire, la torture, des Guantanamo-bays, tenant en leurs mains la survie de quelques humains…
Cela est évidemment quelque chose de très humain.

Soutenir la résolution non militaire des conflits me paraît aussi une excellente idée.
Ne pas soutenir les agences de renseignement, donc ne pas leur donner de données, ni les aider d’aucune manière.

Sachant que les agences de renseignement tendent à devenir le véritable ennemi.
Leur business réel étant de garder secrète l’information afin de ralentir tout processus
ou enlever l’information de tout processus pour mieux le contrôler.

C’est l’idée clé des agences de renseignement, d’apporter
l’information à peu de monde, et pas à tous ceux impliqués dans un sujet, afin de ralentir les choses
ils sont alors plus facile à contrôler par ceux qui disposent de cette information.

Ce n’est bien entendu pas notre jeu préféré.
Le respect des êtres humains et de leur culture est aussi quelque chose qui ne devrait pas être expliqué.

Vous comprendrez dans une minute pourquoi je rappelle cela maintenant.
Ensuite, il y a des questions plus complexes sur lesquelles nous pourrions peut-être ne pas être d’accord.

Par exemple, si les états-nations, les pays, ont le moindre sens
tous ceux qui voyagent ces temps-ci, et nous faisons cela probablement beaucoup
connait cette frustration, attendant au guichet de contrôle des passeports,
déclarant des biens à importer ou exporter,
et toutes ces autres choses qui nous emmerdent et que nous n’avons pas sur Internet
où nous pouvons voyager en une seconde
et où nous n’avons jamais besoin de montrer notre passeport, et nous n’avons jamais besoin de déclarer nos biens numériques à un officier des douanes
ou du moins, pas encore …

Cependant, en théorie, les gouvernements peuvent jouer un rôle important.
Par exemple la balance entre le droit du commerce et ceux des citoyens
Mais nous n’allons probablement pas trouver de consensus sur la façon de traiter les gouvernements
si nous voulons les éliminer, seulement les ignorer, les détruire…
ou peut-être même penser qu’il est une bonne idée de soutenir des gouvernements et de payer des taxes pour l’intérêt commun
comme les écoles, les rues, les infrastructures, mettre en prison
ceux qui ne respectent rien…

Mais il y a un problème et c’est … Bien entendu je connais de près les théories anarchistes
et je n’ai jamais été un grand supporter des gouvernements
mais je vois un problème si l’on détruit les gouvernements
car si on limite le nombre de gouvernements, alors ceux qui restent tendent à devenir plus puissants.

Et le gouvernement unique, celui qui veut dominer le monde, ce sont les États-Unis.
Ils saisissent chaque opportunité pour fragiliser les gouvernements de par le monde
afin qu’ils cèdent à leur pouvoir et permettent au leur d’être toujours plus puissant
et c’est exactement ce à quoi ils jouent avec l’Internet, et ce dont on parle.

Donc, vous avez peut-être déjà vu le jeu qui se joue ici

L’armée US ne l’appelle pas « guerre de l’information », mais plutôt « opérations d’information »
et vous avez certainement vu les révolutions de couleur en Ukraine
et dans les anciens pays soviétiques

Certaines ont connu plus de succès que les autres

Certaines avec violence, certaines sans violence, mais
certaines d’entre eux ont réussi à renverser leurs gouvernements et à remplacer
quelques kleptocrates ou quelques personnages douteux par d’autres personnages douteux

Et maintenant, dans certains endroits, en lieu et place d’étranges kleptocrates, on trouve des actifs corrompus de la CIA
La question de s’il s’agit d’une amélioration reste ouverte

Donc ce premier tour, si on regarde ce que Soros a financé en Europe de l’est
cela a créé une paranoia intense dans les pays restants
qui pose encore problème.

Donc si on regarde comment Assad en Syrie a géré la scène de l’Internet en Syrie,
il posait simplement aux gens des questions simples : « travailles-tu pour nous ou contre nous ? »

Fais-tu partie de la solution ou du problème ? Donc ils étaient très sensibles
à quiconque obtenant un financement de Soros ou de la CIA
ou d’autres forces US, puisqu’ils pensaient que les Américains joueraient le même jeu
et cela a une importance, dans un tel scenario, s’il est vrai
la paranoia fonctionne. C’est sa propre dimension qui permet de changer les règles du jeu

Ce premier tour a créé des conflits militaires sérieux
et ces conflits militaires ont amené de nombreuses personnes
à quitter leurs pays, et ce sont les réfugiés que nous avons ici aujourd’hui.

Voilà pour les traces de réalité que je pense que nous devons voir. Et cela a à voir avec l’Internet
et avec la façon dont l’Internet influence les pays
et les gouvernements réagissent, et l’on voit des modèles spécifiques qui se répliquent dans différents endroits

Puis il y a la réalité et l’action à l’échelle globale des entreprises américaines

Dans le passé, il était assez simple
pour un gouvernement de prendre le contrôle de la réalité

La réalité ce n’est pas ce qui se passe dans les rues

La réalité c’est ce qui est créé dans l’esprit des gens, je parle ici de constructivisme
et de la perception des choses
ce que vous voyez à la TV, que vous lisez dans les journaux, que vous entendez à la radio
tout cela crée des représentations dans votre esprit, du monde où vous pensez vivre

Dans le passé il était assez simple de mettre l’éditeur sous pression
de créer des lois pour régir les médias, etc.

En Allemagne par exemple, nous avons une loi de pré-censure
toute publication doit mentionner une personne qui en est responsable

Pour que l’on puisse faire pression sur cette personne, la mettre en prision ou la condamner pour violation du copyright …

En tous cas, c’est aujourd’hui plus compliqué, puisque les principaux acteurs: Google, Facebook, Twitter
sont tous sous juridiction Américaine

Mais … [bruits de destruction d’un disque dur à la perceuse]
[extrait du film CitizenFour]

Vous avez probablement déjà vu cette scène

Ce sont les rédacteurs en chef du Guardian dans les sous-sols du bâtiment, en train de détruire les disques durs contenant les archives de Snowden
être sous la pression et la surveillance du GCHQ, l’agence de renseignement du Royaume Uni
est en quelque sorte un peu vieux jeu, et cela ne fonctionne pas de façon fiable pour
Internet. Donc aujourd’hui, il y a une gestion plus libérale
et c’est ce qui a bien sûr permis à l’Internet de se développer

Donc le 1er amendement de la constitution américaine, la liberté d’expression,
était bien meilleur que ce que l’on peut avoir dans de nombreux pays, et c’était appréciable
on pouvait dépasser les limitations de nos propres pays
et nous avons apprécié cette gestion plus libérale
mais cette gestion libérale a également amené la surveillance de masse
qui assurait au gouvernement des États-Unis un accès à tout ce qui se passe
et cela amène aussi une propriété intellectuelle qui constitue une version occidentale de la censure
et une perte de pouvoir des gouvernements locaux
et des structures locales, l’état sous-jacent est au contrôle.

Donc d’une certaine manière, les US amènent une idéologie totalitaire : une liberté totalitaire
Il s’agit un peu d’une gestion libérale, et c’est un peu compliqué puisque
la véritable liberté et la liberté dans une gestion libérale des choses
cela semble positif, bien qu’il s’agisse de la version commerciale
donc cela amène une autre grande question, qui est : comment
s’assure t-on que nous avons toujours quelque chose pour nous, nos enfants, nos communautés, notre pays
qui pourrait être la souveraineté numérique
parce que si nous vivons tous dans un cadre dont les règles sont produites par des entreprises américaines,
donc au final par des personnes sous le contrôle du gouvernement US

Ces entreprises agissent au sein de la juridiction américaine, et elles ne peuvent pas y échapper
donc la question de notre propre souveraineté dans ce scénario demeure.

Cela nous amène alors à voir qu’en effet, nous sommes déjà une partie du problème
parce que nous sommes ceux qui fournissent l’anonymisation, les technologies de contournement
des gouvernements locaux qui essaient de rester en contrôle constant des infrastructures cybernétiques
qui créent la réalité, au sens constructiviste du terme.

Donc les gouvernements cherchent à rester souverains d’une certaine manière
et nous espérons surmonter cela en permanence
cette part d’entre nous fait en sorte que nous ayons des droits numériques
nous avons de toutes parts l’environnement des ONG Soros, et j’en ai parlé à des gens en Hollande
et déjà dans les années 80, quand il y avait ce projet de média « B92 »
c’était toute la scène néerlandaise, environ 50 à 60 personnes
c’était comme ça dans le passé, ils ont commencé à travailler pour Soros, alors c’est un peu bizarre
de voir que certains millionnaires américains peuvent acheter une scène entière
et donc par rapport à cet argent, les gens disaient
« allez on prend juste l’argent des américains et ce qu’on fait continue à nous appartenir »
mais est ce que cet argent est offert sans contrepartie ?
c’est vraiment de l’argent gratuit comme dans « bière gratuite » ? de quoi s’agit-il ?
et de quelle liberté d’Internet parle-t-on aujourd’hui ?
il y avait aussi ce truc qui s’appelait — ça se passait en Espagne —
ce truc appelé le « festival de la liberté d’Internet » cette année
l’an dernier c’était le « festival du contournement »
et donc il y a quelque chose d’amusant. J’étais là-bas en mars cette année
Il y avait beaucoup de conférences à propos de la censure, d’Internet, de comment la vaincre
ce que l’on peut faire, quelles technologies sont disponibles, ce qui est utilisable, peut-être
les améliorations nécessaires pour que les personnes non techniciennes puissent y avoir accès
tout cela a l’air très bien, mais tous les exemples de la conférence étaient
étrangement la Syrie, l’Iran, la Corée du Nord, vous savez, les méchants pays habituels
et plus personne ne parlait de la NSA et de la surveillance.

Donc, c’est assez amusant quand on regarde toutes les choses que
les autres font. Alors j’ai regardé qui organisait cette conférence et
le principal organisateur, qui est openitp.org — c’est l’organisation
derrière l’événement — j’ai trouvé un type appelé Sascha Meinrath
de la fondation Acorn Active Media, jamais entendu parler de lui
je l’ai googlé, et il a une page Wikipedia, il ressemble à un connard, mais peu importe
en tous cas, il est vice président de la New America Foundation et chose intéressante
c’est le cas de son staff de Acorn Active Media Foundation, qui a exactement 3 personnes en tout, qui travaillent également tous
pour la New America Foundation. Et donc qu’est ce que la New America Foundation ?

Le président du conseil d’administration de la New America Foundation est un type appelé Eric Schmidt

Le président exécutif de Google !

Maintenant on commence à comprendre ce que signifient les libertés sur Internet. Google partout … Okay…

Nous y voilà. Et donc ensuite j’ai regardé leur page web ce matin
et regardez : Jonathan Soros !
Le fils de George Soros rejoint aussi le conseil d’administration, génial !

Donc on commence à les rassembler. Alors j’ai utilisé un peu Maltego
Je suppose que vous connaissez Maltego, c’est un petit logiciel que vous pouvez utiliser aussi hors ligne pour visualiser des choses complexes

Donc sur la droite, vous avez ce festival, vous avez les acteurs, Acorn Active Media
et tout mène à la New America Foundation, mais il y a aussi Google,
Soros, l’Open Society Foundation, et les jeux de changement de régime des révolutions de couleur.

— Personne ne peut lire ça hein ? —

Soros est sur la gauche, le festival est sur la droite, et en tous cas vous voyez en gros ce que je viens d’expliquer

Donc il y a d’autres schémas sur Internet qui cherchent à montrer Soros tel qu’il est connu pour
l’ensemble des ONG qu’il soutient
Il y a aussi ici un projet précédent appelé l’Open Government Partnership
et des trucs comme ‘monitor group’ qui a toujours surveillé toutes sortes de pays où les US voulaient
prendre le contrôle ou renverser les gouvernments ou effectuer certaines de leurs étranges opérations
et donc c’est juste une longue histoire où les services de renseignement US alliés à ceux des britanniques
ont leurs bases avancées sous couverture d’ONGs
déployées dans toutes sortes de pays, donc c’est juste le jeu normal qu’ils jouent depuis plus de 20 ans
et en particulier lorsqu’on en vient aux révolutions de couleur, on trouve sur Internet tout un tas de
choses où les gens analysent comment ça fonctionne, comment Soros entraîne les gens
qui est financé par quoi, comment ils savent exactement la façon dont les gouvernements vont réagir
c’est comme un réflexe, pour certains gouvernements, et on peut savoir quoi faire
pour les mettre tellement en colère et les faire sur-réagir, et enfin pouvoir les accuser de
violer les droits de l’Homme, et ensuite c’est un processus automatique
qui peut même se terminer par un gros conflit militaire

On m’a aussi dit qu’il ne fallait pas
sous estimer une personne appelée Peter Thiel

C’est un millionnaire Américain, qui travaille avec Soros sur certains projets
Il est aussi connu pour travailler avec la CIA et créer des entreprises technologiques qui
fournissent des outils pour la NSA et la CIA

Et tous les deux font aussi partie du même manège avec l’Open Society Foundation
Voilà la vue d’ensemble qui implique maintenant, dans cette seconde version,
vous avez ces types de l’Internet Freedom Festival, les gens de la CIA, Soros, Thiel
les agences à 3 lettres, certains d’entre eux fournissent un Internet libre
et les autres fournissent les outils pour surveiller l’Internet libre

Quel beau monde !

Et aussi certains d’entre eux ont des sous-partenaires pour renverser les gouvernements, et c’est là une autre partie du jeu

Donc bien sûr on peut se poser la question
« au fond, le changement de régime a l’air d’être une bonne idée, ne pourrait-on pas changer le régime US ? « 

Et bien, il y a deux problèmes ici, le premier est une blague politique
un changement de régime n’est jamais arrivé aux US puisqu’il n’y a pas d’ambassade US aux US
parce que c’est là où les US ont une embassade que
le contrôle des figures locales est opéré

En tous cas, les US tels qu’on les connaît est la meilleure démocratie que l’argent puisse acheter, alors c’est un peu compliqué
de s’impliquer sans avoir beaucoup d’argent, aussi
évidemment, ce que l’on a appris des donnée de Snowden est que l’État est pleinement actif

Donc concernant les ressources, honnêtement, on n’est pas mauvais technologiquement, mais on est un peu juste en ressources
comparés à ces types.

Donc, alors on a aussi des projets comme Tor, qui honnêtement est une des meilleures choses que cette scène a produit

Je veux dire, c’est pas mal, ça marche, déjà

En tous cas, c’est bien sûr le cœur du contournement de la censure local, ou des tentatives locales de contrôler l’Internet

Donc si on regarde par exemple le fait que la RFC Tor permet maintenant
aux sercices en .onion de devenir un standard Internet. Pour financer ça, il y avait Facebook

Alors on peut maintenant être tous très fiers
d’avoir aidé ces pauvres gens opprimés en Iran
en Corée du Nord, ou autres
Ils peuvent enfin apporter leurs données en toute sécurité à Facebook et aux systèmes de la NSA

Bravo, on a fait un super boulot. C’est quoi ce bordel ! [applaudissements]

Donc. Mais qui finance Tor au fait ? Je veux dire, on savait tous que pendant un certain temps
il y avait ce type, « Radio Free Asia »
SRI International, le département d’État américain
et plein d’autres qui financent Tor.

Et Tor a juste commencé à la fin de l’année dernière ce qu’ils appellent un « financement communautaire »
mais en fait j’ai parlé avec Shari Steele, la nouvelle directrice exécutive de
Tor, et chose amusante, elle est mariée à un agent de la NSA mais
je n’ai bien sûr pas dit ça dans une conférence publique
et je l’ai interrogée sur ses idées de financement communautaire, pour savoir si on devrait commencer à lever des fonds, et « ouais ouais mais l’argent n’est pas si important
pour le moment on est très stables », donc leurs financements récurrents viennent de la fondation Ford, SRI International
Google, Radio Free Asia, qui était un opérateur direct de la CIA
le département d’État Américain, le Omidyar Network, un autre millionnaire dans ce jeu là

Donc seulement trois de ces entités sont directement associées avec la CIA
je trouve ça un peu merdique, et par ailleurs toutes les personnes qui sont impliquées savent ça depuis longtemps
ça fait juste bizarre que ce sont ces personnes qui nous soutiennent pour fournir un Internet libre
c’est étrange. Nous devons, peut-être,
avoir une meilleure compréhension de pourquoi ils font ça et si nous avons réellement des intérêts partagés, et comment tout cela va finir

Bien sûr, des gens vont dire « attends une seconde, Tor fait partie de la communauté des gens bien,
ne les traite pas de mauvais, ce sont mes amis, n’est-ce pas » et on a un problème ici parce que
l’opposé de faire quelque chose de bien, ce n’est pas faire le mal
l’opposé de « bien agir » c’est « agir avec les meilleures intentions »
Comme vous pouvez le voir dans cette petite scène

[extrait de Pulp Fiction]

Donc agir avec les meilleures intentions est un peu délicat
C’était un extrait de Pulp Fiction

Donc parlons de Tor, de contournement, du bien et du mal pendant une seconde
Alors bien sûr le contournement de la censure ne peut pas être une mauvaise chose pour nous tous
Pourtant ce qui peut être un problème c’est ce que cela permet
le colonialisme numérique ou l' »ouverture de marchés » comme Google ou Facebook l’appelleraient

Cela leur permet d’accéder à des marchés où le gouvernement
cherche à éviter que leurs citoyens finissent dans les systèmes américains
Donc l’autre point, c’est que si vous essayez d’avoir cette discussion avec Roger Dingledine
qui est la personne qui a quasiment consacré sa vie à Tor et qui fait tourner la boutique
et j’ai eu cette discussion avec lui
Il y a quelque chose de marrant avec ces Américains, c’est qu’il pensent toujours que « oh tu ne comprends pas »
« Vous et vos façons de voir européennes, vous savez, nous sommes les américains »
« Et on va vous montrer que tout ira bien une fois qu’on aura établi ceci et cela »

On appelle ça « exceptionnalisme ». Ils se sentent investis du pouvoir de Dieu ou de peu importe ce en quoi ils croient
Ils pensent pouvoir répandre leur idéologie sur tout le reste de la planète et que tout ira pour le mieux.
Tellement convaincus de faire ce qui est juste.
Il s’agit véritablement d’agir avec les meilleures intentions.

En tous cas, ce dont ils manquent de façon évidente
c’est de compréhension des autres cultures, cela n’a aucune importance pour eux
Une fois que l’on pense faire ce qui est bien et juste, pourquoi avoir besoin de comprendre les autres cultures ?

On leur amène les meilleures solutions, non ?

Peu importe ce qu’ils sont, ce qu’ils pensent, etc.

C’est ce que j’appelle le libéralisme totalitaire
qui est une idéologie complexe
mais si on regarde ça aujourd’hui, il y a en ce moment une discussion entre un rappeur palestinien
et sa communauté, parce que ce que ce type pense est
que cela renforce le radicalisme islamique et que les gens ont peur
quand ils voient ce que les médias occidentaux leur apportent
que les gens ont des confusions de genre, et toutes sortes de
problèmes humains qu’ils n’auraient pas s’ils restaient un peu sobres
et cela est complexe parce que la peur est aussi une dimension similaire à la paranoia
et que se sentir investi d’un pouvoir est par contre une dimension de l’action
et le contournement de la censure s’il s’attaque déjà à la peur, demeure une question ouverte
et nous devons également réaliser qu’il y a des êtres humains — cela n’a rien à voir avec l’Internet —
qui sont guidés par la peur, et que l’on doit faire avec.

Donc l’acteur omniprésent dans tous ces projets, c’est l’OTF : l’Open Technology Fund
qui est à 100% financé par Radio Free Asia et le Broadcasting Board of Governors
ils sont tous deux liés au département d’État US, en théorie, et on n’a pas besoin des détails de toutes façons
puisqu’ils financent tellement de projets
l’Open Technology Fund, bon, toute personne qui est un peu impliquée dans Tor, dans Tails,
dans le chiffrement des emails ou ce genre de choses, c’est assez difficile de ne pas
se retrouver à nager dans leur argent couramment. Alors ils sont partout, dans toutes ces conférences
et tous ceux qui ont l’air de savoir (ou qui simulent bien) quelque chose sur la sécurité et comment améliorer
la sécurité de l’Internet ou de soutenir les technlogies de contournement, ils auront un financement.
c’est en fait assez difficile de ne pas être financé par eux quand on est impliqué là-dedans

Et donc bien sûr si on regarde autour on trouve qu’il y en a un certain nombre dont on peut dire « attends une seconde, ce sont mes amis »
donc le problème est que ce toutes les personnes qui sont payées et qui servent les USA ou la CIA
ne sont pas nécessairement au courant, donc je n’accuse personne ici de mal agir intentionnellement
mais il faut juste voir que nous avons un intérêt commun avec ces types bizarres
qui nous donnent de l’argent pour contourner la censure, et et qui ne comprennent pas quelle est l’idéologie
qui est derrière, quelle est l’économie et quelle est la politique gouvernementale derrière cela.
Faire de nous des outils stupides pour le gouvernement US, ça ne peut pas être satisfaisant…

Et l’autre chose, ce sont les conséquences quand on s’associe avec cet argent et ces personnes,
selon où tu vis, et on en a perdu des amis ces dernières années
en Egypte, en Syrie, dans d’autres endroits. Leurs gouvernements ont un raisonnement très simple
« Fais-tu partie de cette invasion US ou fais-tu partie de notre peuple ? »
Et malheureusement, ils ne prennent pas le temps pour une analyse en profondeur.
Dans ces conflits, ils agissent souvent rapidement.
Et des gens meurent, sont torturés, etc.

Alors bien sûr on peut les accuser de tuer et de torturer mais on doit comprendre pourquoi ils le font
pour éviter que ça arrive encore
et avec la radicalisation des européens avec la montée de l’extrême-droite
on pourrait aussi trouver des situations similaires chez nous
des pays européens équilibrés, à l’Histoire longue, qui ne veulent pas de cette montée, il vaut mieux faire attention maintenant

Évidemment, vivre dans le capitalisme est compliqué, et requiert un effort pour rester indépendant de l’argent facile
et c’est le combat de chacun, je sais, ce n’est pas facile.
En tous cas, ce que l’on doit comprendre, c’est qu’il y a ici un concept nommé le « colonialisme numérique »
et qu’il va main dans la main avec une perte de pouvoir global des entreprises locales
Et vous avez dû entendre qu’en Inde,
un gros mouvement populaire a évité que Facebook amène un internet libre dans le pays

En tous cas le juge a exposé que
puisque le service fourni était gratuit, cela était contraire à la concurrence avec les entreprises locales
ce qui est un bon argument. Bien sûr on ne paie pas Google avec notre argent, ils sont payés avec des données
qu’ils peuvent ensuite revendre.

Donc il y a aussi l’ubérisation des processus économiques, airbnb,
ces trucs où l’intermédiation a lieu
aux US et prend une petite marge dans le processus.

Cela veut aussi dire que les processus économiques
sont transformés d’une économie locale vers l’économie américaine, et on ne devrait pas soutenir cela.
Cela veut aussi dire que des réalités virtuelles sont individualisées et commercialisées
et ils se foutent de la réalité commune, c’est un autre problème.

Donc notre environnement médiatique devient aussi un peu compliqué
proche de la publicités, des produits, services, idéologies
y compris la mesure de l’impact individuel
des milisecondes que l’on prend à cliquer sur une pub
passer sur une autre page, etc.

Si on prend un peu de recul pour regarder le temps long et historique de ce développement,
évidemment il y a eu des royaumes, nous avons eu des kleptocraties nationales
nous avons eu des démocraties à liberté contrôlée
en en passant, la liberté contrôlée est presque une marque déposée d’une entreprise appelée « Dieblod »
vous avez dû entendre parler du problème des machines à voter électronique
donc Diebold est l’un des principaux constructeurs de ces machines, et ils ont un système de collecte des circonscriptions
où les gens cotent pour collecter et rassembler les données. Le système s’appelle « liberty control »

Donc vous voyez un peu l’idée de la confiance que l’on peut avoir dans le vote électronique

mais il y a aussi les limitations des gouvernements nationaux dans les traités internationaux comme TTIP, entre autres accords commerciaux
où les gouvernements nationaux ont de moins en moins de pouvoir puisqu’ils ont des
obligations contractuelles internationales, mais la vraie menace qui vient est bien sûr que
nous courons vers une réalité gouvernée par des algorithmes, permettant que
les décisions commerciales et gouvernementales seront créées et basées sur des algorithmes et des données massives.
c’est ce qu’ils sont en train de mettre en place en ce moment
donc les choses vont devenir encore plus difficiles

Et nos échecs à fournir des services spécifiques est leur plus grande force
notre échec est que Facebook règne sur les putains de réseaux sociaux et pas nos réseaux décentralisés, anonymes
que nous n’avons jamais construits, avec le contrôle de nos propres données

On peut accuser Facebook de beaucoup de choses, mais nous devons aussi
je suppose, constater qu’ils ont fait de bons investissements dans des gens qui comprennent comment amener les gens
à utiliser les technologies de façon très simple sans devenir techniciens

Et donc nous ne sommes toujours pas en train de créer du mail, du chat, chiffré, sans effort et sans traces
où les gens n’ont pas à penser à l’échange de clés et tout ce genre de choses
les gens normaux trouvent juste ça trop compliqué
mais il y a aussi de l’intermédiation de la compréhension culturelle
il y a aussi quelque chose qui concerne l’intermédiation des conflits ici
notre compréhension du monde islamique par exemple, et leur compréhension de notre monde
il y a encore tellement à faire, parce que ce que l’Internet a fait, et
le complexe de la liberté sur Internet n’a fait qu’exporter l’idéologie occidentale au lieu
d’essayer de comprendre les différences culturelles et le complexe qui se créerait si ces cultures
venaient à se rencontrer. Donc il y a aussi évidemment
un rôle énorme où nous avons échoué pour l’instant, celui d’améliorer la compréhension et
l’usage significatif de ces technologies par les gouvernements et les communautés

Donc en théorie, on devrait tous devenir des conseillers des gouvernements
et si ce n’est pas une option pour vous, alors merci de créer votre propre gouvernement, je pense que nous avons besoin de beaucoup plus de gouvernements sur cette planète
le pouvoir est bien meilleurs lorsqu’il est distribué

Donc que devrions nous faire ?

Les grands problèmes insolubles
nous devons les découper en problèmes plus petits que nous pouvons manipuler, donc par exemple augmenter le nombre de gouvernements
si les gouvernements sont trop gros et trop compliqués à réparer, c’est parce qu’ils sont tellement cassés et corrompus
et je suppose que la situation politique française, d’après ce que j’ai entendu dans mes conversations d’hier soir
est à peu près aussi pétée qu’en Allemagne, alors c’est difficile d’imaginer que l’on peut réparer ça
Mais peut-être ce que l’on peut faire est de découper les gouvernements en morceaux plus petits, et les pays en morceaux plus petits
de façon à reprendre le contrôle avec des sommes d’argents raisonnables, des structures raisonnables

Et technologiquement, bien sûr, nous devons construire des services décentralisés
où l’on peut développer des pensées alternatives et des stratégies, d’abord
la révolution n’arrivera ni sur Facebook, ni à la TV

On peut probablement être d’accord là dessus
et créer des data centers locaux, et des solutions cloud pratiques qui supportent une souveraineté numérique

Donc voilà en gros la liste de choses à faire, et je pourrais ..

Je pensais qu’à la fin je devais vous donner quelques idées de ce que vous pourriez faire
donc comme je le disais, devenez conseillers du gouvernement
pour empêcher le colonialisme numérique, d’ailleurs en passant, j’ai essayé de devenir conseiller du gouvernement
invité par des pays latino américains
mais c’était un peu bizarre
parce qu’ils disaient « ouais on pense qu’on doit créer un framework »
mais le développement de l’Internet, d’une certaine manière va avec
nos processus économiques, culturels et politiques
donc ils discutaient et ils ont réalisé que Google venait de décider de connecter toutes les écoles du pays
Je ne suis vraiment pas fan des nazis ou de Goebels en particulier
mais de temps en temps il avait des formules très claires, dont l’une d’entre elles : « tu as la jeunesse, tu as le futur »

Fin de l’histoire. Donc si tu échoues

pendant 15-20 ans à faire quelque chose avec le système éducatif et Internet, alors Google, Facebook viennent et connectent les écoles
et tu es fini. Et c’est la situation de nombreux pays.

Donc le genre de choses à faire : décentraliser, aussi pour l’économie, pour créer
les ponts culturels entre les religions et les pays

Et évidemment j’ai été interrompu pendant que je faisais les diapos avec de la bonne nourriture
donc voilà, vous avez quelques références.

C’était en gros mon intervention, et maintenant je serais heureux d’avoir vos retours, questions, réponses

Merci. [applaudissements]

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